Avec 60 000 patients touchés en Europe, la mucoviscidose reste une maladie orpheline. Jusqu’ici, l’industrie pharmaceutique ne s’y aventurait guère. Mais cette réticence se dissipe : certains médicaments développés contre la mucoviscidose peuvent être utilisés pour les fumeurs. Un marché sans commune mesure !
« Jusqu’ici, les recherches sur la mucoviscidose ont surtout enrichi les connaissances. Mais elles commencent à bénéficier aux patients », se réjouit le professeur Aleksander Edelman, directeur d’un laboratoire Inserm à l’hôpital Necker - Enfants malades. Le coup d’envoi de la course aux progrès est donné en 1989. Le gène responsable de la mucoviscidose est alors découvert : on le nomme CFTR (Cystic fibrosis transmembrane conductance regulator). Situé sur le chromosome 7, il gouverne la production d’une protéine qui contrôle l’équilibre en eau et en sel des cellules. C’est un canal perméable aux ions chlorure, qui traverse la membrane cellulaire.
Son dysfonctionnement bloque la sortie de ces ions : d’où un défaut d’hydratation des mucus qui tapissent les surfaces internes des poumons, du pancréas, de l’intestin… Trop épais, ces mucus s’accumulent : infections chroniques des poumons et blocage de la sécrétion des enzymes digestives sont deux des effets délétères de cette accumulation.
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Dans les années 1990, les défauts du gène CFTR sont passés au crible de l’analyse moléculaire. « Plus de 2 000 mutations de ce gène ont été décrites », précise Aleksander Edelman. La sévérité de la maladie dépend du type de mutations du gène CFTR, mais également de l’activité d’autres gènes « modificateurs » : ils viennent tantôt atténuer, tantôt aggraver le déficit du gène CFTR muté.
Des modèles animaux de la mucoviscidose sont rapidement créés. Ils aident à décrypter le fonctionnement du canal CFTR. « Nous comprenons mieux aujourd’hui comment la protéine CFTR est produite dans la cellule : comment elle se replie dans l’espace et “s’habille” de sucres, puis comment elle est transportée jusqu’à la membrane », raconte la professeure Isabelle Sermet-Gaudelus, responsable de la prise en charge des enfants atteints de mucoviscidose de l’hôpital Necker - Enfants malades.
Essais cliniques
« Selon leurs conséquences fonctionnelles, les mutations du gène CFTR ont été regroupées en six classes », résume Aleksander Edelman. Autant de processus qu’il est capital de connaître pour développer des médicaments ciblant chaque mutation. C’est ainsi que le laboratoire américain Vertex a mis sur le marché, en 2012, un tout premier médicament qui s’attaque à des mutations rares : l’ivacaftor, qui maintient le canal CFTR plus longtemps ouvert. Coût d’une année de traitement : 250 000 euros. « Ce coût est tolérable, car les personnes concernées sont rares. Mais il faudra négocier les prix de traitements qui s’adresseront à davantage de patients », note Isabelle Sermet-Gaudelus.
La mutation la plus fréquente, ΔF508, altère le repliement du canal CFTR. Celui-ci est alors « jeté » dans la « poubelle cellulaire ». Vertex développe une molécule qui corrige ce défaut de repliement, le Lumacaftor. « Il est en cours d’évaluation chez les patients », indique Isabelle Sermet-Gaudelus. De son côté, l’équipe d’Aleksander Edelman a réalisé une sélection informatique d’une vingtaine de molécules d’intérêt, à partir d’un catalogue de 200 000 molécules. Deux d’entre elles permettent à la protéine mutée ΔF508-CFTR d’être acheminée jusqu’à la membrane et d’y remplir son rôle. « L’une est brevetée. Des essais sont menés sur des cellules de patients », précise-t-il.
Une autre molécule donne lieu à des essais cliniques : l’ataluren, de la société américaine PTC Therapeutics. Elle masque, sur l’ADN muté, un site qui entraîne la production d’une protéine tronquée. Autre piste : un essai devrait démarrer avec un ARN (acide ribonucléique) messager, complémentaire du gène CFTR normal. Développé par la biotech belge ProQR Therapeutics, « cet ARN est très efficace in vitro et chez la souris », relève Isabelle Sermet-Gaudelus.
Ces premiers succès ne doivent pas cacher un échec historique : celui de la thérapie génique. Après de vifs espoirs, il fallut déchanter : dans les années 1990, les premiers essais ont conduit à des décès de patients. Le vecteur utilisé pour délivrer l’ADN thérapeutique dans les bonnes cellules (un vecteur rétroviral) déclenchait des réactions immunitaires. Des équipes anglaises poursuivent des essais avec des vecteurs plus sûrs. On en attend les résultats – sans grande illusion.
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